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Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

26 janvier, 2011

La vision syndicale de la société remise en question

André Dorais

Claudette Carbonneau est présidente de la CSN, soit l’une des plus importantes organisations syndicales au Québec. Plus des deux tiers de ses membres travaillent pour le secteur public. Elle est souvent invitée dans les médias à commenter l’actualité. Dans l’entrevue suivante, qui débute à la 4e minute, elle commente la dernière entente conclue entre les employés du secteur public et le gouvernement. Comme il est question de PIB (produit intérieur brut) et de création de richesse, cela a attiré mon attention.

Selon Madame Carbonneau, les travailleurs de l’État, c’est-à-dire du secteur public, ont accumulé un grand retard sur les autres salariés québécois [1] . Dans le but de corriger cette situation, les augmentations de salaire desdits travailleurs seront dorénavant établies en fonction de la croissance du PIB. Selon les partis présents à la table de négociation, il s’agirait d’une première. Pour Claudette Carbonneau, il s’agit d’une bonne façon pour les travailleurs de l’État de «prendre leur part de la richesse qu’ils contribuent à créer» (fin de la 5e minute).

En disant les choses ainsi, elle laisse entendre que tous les travailleurs de l’État contribuent à la richesse. Pour déterminer la part qu’elle et ses partenaires du front commun ont à l’esprit, il suffit de jeter un coup d’œil sur l’entente conclue. Dans la mesure où les hausses conditionnelles de salaire sont accordées, elles équivalent au taux de croissance historique du PIB pour le Québec, soit 2,1% annuellement. On peut donc présumer qu’une juste augmentation de salaire pour les syndicats équivaut au taux de croissance du PIB. En signant l’entente, le Premier ministre considère qu’il s’agit également d’une façon raisonnable de voir les choses. Est-ce vraiment le cas?

Augmentation de salaire selon la croissance du PIB?

Parmi les nombreuses critiques du PIB on retrouve celle-ci : le PIB ne tient pas compte de la façon dont la richesse est créée. Les entreprises du secteur privé à but lucratif doivent constamment ajuster leurs services pour plaire aux consommateurs, sinon elles sont portées à disparaître. Il n’y a pas d’équivalent dans le secteur public. Les ministères et les entreprises contrôlées par le gouvernement restent en place peu importe la qualité des services offerts. Il s’ensuit qu’établir une augmentation de salaire selon le PIB constitue un avantage considérable pour les travailleurs de l’État, si ce n’est pas en terme de revenus, certainement en terme de sécurité d’emploi.

Augmenter les salaires des employés de l’État d’après la croissance du PIB laisse entendre non seulement que les services octroyés par l’État contribuent à la richesse, mais qu’ils y contribuent de manière égale. Ni l’efficacité, ni l’utilité de ces services ne sont remis en question. Si le gouvernement les offre, on présume qu’ils sont nécessaires, donc qu’ils contribuent à la richesse. Or, les travailleurs de l’État doivent leur emploi non pas à la nécessité de leurs services, mais au fait que ces services ou «programmes sociaux» soient établis par la loi.

L’État protège des emplois parce qu’il protège des services. Les consommateurs font les frais de ce protectionnisme de diverses façons : soit par une réduction globale des services offerts ou une réduction de leur qualité, soit par une réduction de ce qu’ils peuvent dorénavant s’offrir comme service. En effet, quand bien même les services offerts par l’État seraient moins dispendieux grâce à des subventions, les coûts de celles-ci se répercutent nécessairement sur les autres produits et services. Dans ce cas, ou bien les consommateurs se retrouvent avec moins de produits et services, ou bien ils les paient plus cher.

Lorsque les services offerts et subventionnés par l’État visent une clientèle en particulier, celle-ci en tire profit, mais au détriment de tous les autres consommateurs. Lorsque les services offerts par l’État visent tous les consommateurs, ceux-ci en paient le prix à la fois par une hausse de leurs charges fiscales et une réduction de l’offre globale des produits et services. D’aucune manière la majorité des gens tire profit d’un service offert par l’État. Par conséquent, on ne peut pas qualifier de raisonnable une augmentation de salaire des employés de l’État, aussi minime soit-elle, qui se fait sur le dos de la vaste majorité des consommateurs.

De manière générale, on peut dire que plus nombreux sont les services contrôlés par l’État, moins nombreux sont ceux offerts par le secteur privé à but lucratif. Il s’ensuit moins de concurrence et une augmentation des coûts des services offerts, ce qui n’est dans l’intérêt de personne.

Les programmes sociaux et le taux élevé de syndicalisation contribuent à la croissance du PIB?

Madame Carbonneau reconnaît que le Québec est pauvre par rapport aux autres provinces canadiennes (14e minute), mais considère qu’il s’agit là d’une raison de plus pour le gouvernement de maintenir, voire d’accroître, son contrôle des services (programmes sociaux). Pour elle, ce contrôle n’est pas à la source de cette pauvreté. Au contraire, elle le présente comme ce qui permet aux québécois non seulement de se prémunir contre les crises économiques, mais de faire progresser l’économie.

D’abord, il n’est pas évident que le Québec se soit si bien tiré de la dernière crise économique. Faut-il rappeler que la Caisse de dépôt et placement du Québec a subi des pertes colossales lors de cette crise? Puisque la Caisse agit comme unique gestionnaire du régime public de retraite, tous les québécois doivent en payer la note. À ces pertes, les contribuables montréalais doivent ajouter les charges fiscales attribuables au renflouement des caisses de retraite des employés de la Ville, car les rendements de celles-ci sont garantis par le fisc local. Par conséquent, il serait plus judicieux de dire que le Québec syndiqué s’est bien tiré de la crise.

Certes, à se comparer avec les États-Unis on peut toujours dire que le Québec s’en sort relativement bien, mais cela ne peut pas être attribué à ses programmes sociaux. Madame Carbonneau considère avec raison qu’il y a plus de programmes sociaux au Québec qu’aux États-Unis, mais de là elle conclut, à tort, que ce sont ces programmes qui contribuent à la relativement bonne performance économique du Québec. Comme on l’a précisé plus haut, ces programmes coûtent cher à plusieurs points de vue, ce qui, en définitive, n’est dans l’intérêt de personne.

On peut ajouter qu’il y a autant, sinon plus, de programmes sociaux liés à l’achat de maison aux États-Unis qu’au Québec : Community Reinvestment Act, Equal Credit Opporunity Act, Fair Housing Act, etc. Et non seulement ces programmes n’ont pas permis d’éviter la crise, ils y ont contribué en incitant les gens à investir des sommes importantes alors qu’ils n’en avaient pas les moyens. On ne dit pas que ces programmes soient la cause première de la crise, on dit simplement qu’ils ne peuvent pas être considérés comme facteurs de croissance comme le pensent Madame Carbonneau et les syndicats en général.

Un autre facteur qui, selon Claudette Carbonneau, contribue à la croissance économique du Québec est le taux élevé de syndicalisation qu’on y trouve. Comme elle le mentionne au début de l’entrevue, les travailleurs syndiqués sont généralement mieux payés que les travailleurs non-syndiqués. C’est ce qu’on voit. Ce qu’on voit moins, cependant, ce sont les conséquences de cette syndicalisation. Celle-ci tend à exclure du marché de l’emploi des individus qui autrement en feraient partie. Les charges sociales à payer pour cette exclusion sont généralement plus élevées que les gains obtenus par les travailleurs syndiqués. Il s’ensuit que l’ensemble de la société y perd au change.

Le raisonnement de Madame Carbonneau, des syndicats en général et trop d’économistes est le suivant (11e minute) : parce que les syndiqués sont mieux payés que les non-syndiqués, ils dépensent davantage en biens de consommation et puisque les dépenses de consommation constituent soi-disant le moteur de l’économie, ils contribuent davantage au PIB, donc à la richesse. Il s’ensuit que tous les travailleurs devraient être syndiqués…
En période de crise […] ce qui tenait notre économie, c’était les dépenses de consommation des ménages […] En ce sens là, une chance qui avait du monde [plus précisément les syndiqués] qui pouvait avoir des salaires un petit plus décent que dans d’autres circonstances. Claudette Carbonneau
Heureusement, la réalité n’est pas aussi simple. Une augmentation de salaire constitue une richesse uniquement pour ceux qui la reçoivent, mais une dépense pour ceux qui la payent. Cette augmentation contribue à la richesse globale uniquement si elle est accompagnée d’une augmentation plus grande de la productivité. Il s’ensuit que la création de richesse n’est pas le résultat d’une augmentation quelconque de salaire, mais d’une augmentation de la productivité. En d’autres mots, ce ne sont pas les augmentations de salaire qui créent la richesse, mais la production de richesse qui tend à augmenter les salaires.

Pour produire de la richesse, on doit d’abord épargner ses ressources. Grâce à cette épargne, les gens sont en mesure d’investir, soit de contribuer à la recherche de nouveaux moyens d’accroître la productivité. À cet égard, il n’y a pas de différence entre les individus et l’État. Un État qui dépense davantage dans le but «redémarrer» l’économie est un non sens. S’il veut enrichir la population qu’il dit servir, il doit, comme elle, couper dans ses dépenses, par conséquent couper, voire abandonner des services. En effet, considérant que l’État ne peut s’enrichir que sur le dos des contribuables et plus généralement des consommateurs, s’il veut vraiment les servir il doit réduire et abandonner les services qu’il contrôle. Le marché prendra la relève là où les besoins se font sentir.

Seul le secteur privé, dont notamment le marché, répond à la demande sans nuire à personne. Le marché répond aux besoins des consommateurs, tandis que les consommateurs doivent s’adapter aux services imposés par l’État. La différence est énorme et ne tient pas qu’à des mots. Tous ceux qui travaillent pour le secteur privé, travaillent nécessairement pour le public et mieux encore que le secteur public lui-même. Ce n’est pas que les gens qui y travaillent soient plus intelligents, c’est que les incitatifs auxquels ils répondent sont plus efficaces et plus justes pour tout le monde.

Une gestion privée axée sur les profits permet de distribuer les ressources là où elles sont les plus en demande. Au contraire, une gestion publique est inapte à distribuer les ressources adéquatement, car elle répond à des lois, règles et règlements qui ne tiennent pas compte des ressources réelles disponibles. L’État est toujours prompt à taxer et à imposer les contribuables pour maintenir les services qu’il contrôle, car il croit, à tort, que tous les services qu’il offre sont indispensables. Or, ce n’est pas parce que certains services sont indispensables qu’ils doivent être contrôlés par lui.

En somme, on ne dit pas que l’augmentation de salaire accordée aux travailleurs de l’État soit trop élevée, on dit qu’il y a beaucoup trop de services contrôlés par l’État. Cela réduit la concurrence et tend à augmenter les coûts de l’ensemble des services, autant publics que privés. Moins les services seront pris en charge par l’État, plus il y aura de choix à se les procurer librement selon une gamme de prix pour toutes les bourses. On doit donc vite abandonner l’idée d’établir les augmentations de salaire des employés de l’État sur la base de la croissance du PIB, car celui-ci ne permet pas d’identifier les sources fondamentales de la création de richesse.

[1]  Dans l’entrevue, Madame Carbonneau ne fait pas allusion à tous les travailleurs de l’État, mais uniquement aux travailleurs représentés par le front commun syndical établi dans le but de négocier une entente avec le gouvernement.  Ce front commun excluait notamment les syndicats des policiers et des ingénieurs du gouvernement.

3 commentaires:

Sébas a dit...

Très bonne analyse !

Question par rapport à ce bout:

"On ne dit pas que ces programmes soient la cause première de la crise"

Alors, quelle est -selon vous- la cause principale de cette crise?

La politique de la FED ou les banques ou ?

André Dorais a dit...

Non pas tant les politiques de la Fed que celles, plus générales, liées au monopole de la monnaie: réserves fractionnaires, cours légal (c.-à-d. imposer un type de monnaie) et contrôle du taux d'intérêt. J'aborde assez souvent ces questions. Voir, par exemple, «Pour une vraie réforme du système financier» et «L'injustice des réserves fractionnaires».

Tant et aussi longtemps que ces politiques ne seront pas révisées, d'autres crises se produiront. Seuls les acteurs seront différents.

Au plaisir
AD

Sébas a dit...

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