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Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

18 mai, 2008

Le Québec qui tombe

Les extraits du livre « La France qui tombe » de Nicolas Baverez (éd. PERRIN) sont fascinants. Il décrit bien le gouffre dans lequel la France est tombée. Si on exclue les fonctions spécifiques à un État souverain (défense, diplomatie, etc.), le diagnostique de Baverez pour la France est en tout point applicable au Québec.
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Nicolas Baverez, L'Express du 04/09/2003

Le livre qui épingle Chirac et Raffarin

En librairie le 11 septembre, La France qui tombe (Perrin) est un essai majeur sur l'actuelle crise française. Dans le quatrième chapitre, Quieta non movere (Ne réveillez pas ce qui dort), Nicolas Baverez dresse un bilan intraitable de l'action menée par le président et son Premier ministre. Extraits

Descartes soulignait que «l'erreur est toujours volontaire». De fait, qu'il s'agisse des individus, des entreprises ou des nations, le déclin n'est jamais fatal, mais toujours voulu et programmé. [...] L'obsolescence du positionnement diplomatique et du concept stratégique, la décomposition des institutions, l'anémie de la démocratie, la maladie de langueur qui mine l'économie française ne résultent que marginalement des chocs de la conjoncture mondiale ou des tensions géopolitiques. Elles renvoient principalement au choix délibéré du statu quo et à de multiples erreurs politiques. [...]

D'abord, aucun gouvernement ni aucune formation politique n'a élaboré ou engagé un projet global et cohérent de modernisation, se proposant de réformer en profondeur le pays pour l'adapter au nouvel environnement né de l'après-guerre froide et de la mondialisation. Au lieu d'expliquer la situation réelle de la France, de favoriser la prise de conscience des citoyens pour les convaincre de la nécessité du changement, l'essentiel du discours politique a été consacré à l'éloge de l'immobilisme au nom de l'excellence de l'exception française. La préférence pour la démagogie est la chose la mieux partagée entre majorité et opposition. [...]

Ensuite, les réformes limitées qui ont été engagées ont répondu à [...] la ligne électorale du mieux-disant démagogique, orientée vers les services des clientèles respectives. A gauche, à travers la hausse parallèle des effectifs (320 000 postes de fonctionnaires ont été créés entre 1997 et 2002) et des rémunérations de la fonction publique, et à travers des conquêtes sociales fictives dont les 35 heures sont le symbole. A droite, grâce à la bride lâchée aux revenus des professions médicales (progression de 7% en 2002, ciblée vers les honoraires médicaux qui représentent plus de 17 milliards d'euros) ou à des baisses d'impôts couplées à une accélération des dépenses publiques: d'où une explosion des déficits qui ne pourra être endiguée que par de nouveaux prélèvements. [...]

Enfin, [...] les tentatives opérées pour modifier la régulation du secteur public [...] ont systématiquement échoué. Quatre raisons majeures se cumulent pour expliquer ces revers: l'absence d'engagement ferme du chef de l'Etat ou du Premier ministre pour appuyer les réformes; le refus de toute réflexion préalable sur la redéfinition des missions de l'Etat avant d'aborder la question de la réaffectation des moyens; la volonté de privilégier un dialogue interne entre les responsables politiques et syndicaux, en tenant à distance les leviers extérieurs, et notamment l'opinion; le caractère technocratique et sectoriel des mesures envisagées, qui ont été rapidement contrecarrées par les oppositions corporatistes. [...]

Dans le domaine des fonctions régaliennes de l'Etat, le salutaire effort de rétablissement de l'ordre public a permis d'endiguer la hausse de la délinquance de proximité, mais a connu un spectaculaire coup d'arrêt en Corse. En inscrivant son action dans la continuité des funestes accords Matignon, le gouvernement a commis trois erreurs qui expliquent la sanction du référendum du 6 juillet 2003. D'abord, considérer que la question corse est exemplaire de la décentralisation alors qu'elle relève avant tout du rétablissement de l'ordre public [...]. Ensuite, nouer une alliance avec les groupes terroristes et mafieux autour de l'échange entre d'une part une garantie de représentation à l'assemblée unique et une dotation de 2 milliards d'euros à répartir entre eux et les élus, et d'autre part une réduction du niveau de la violence. Enfin une question biaisée, qui obligeait les partisans du maintien dans la République à joindre leurs voix à celles des poseurs de bombes, qui n'ont pas manqué de manifester leur dépit par un déchaînement de violences. En réalité, [...] l'électorat corse a rétabli le sens de la consultation, en substituant à la question de façade du changement de statut la question réelle de la dévolution de l'île aux nationalistes: le refus de l'assemblée unique est en réalité un vote favorable au maintien dans la République française. [...]

C'est néanmoins en matière de politique économique et sociale que la stratégie du gouvernement s'est révélée la plus incertaine, se transformant en navigation à vue, au gré des difficultés qui se sont accumulées. [...] Deux pans de l'action de l'Etat sont exemplaires de la confusion présente: l'Education et la Défense. L'Education nationale absorbe 7% du PIB, tout en produisant 12% d'illettrés, en rejetant chaque année 161 000 jeunes privés de toute qualification. La France se classe ainsi au 15e rang sur 32 dans l'OCDE pour les performances en termes de lecture. Depuis 1990, les effectifs du ministère ont progressé de 279 000 personnes, soit une augmentation de 10%, alors que le nombre d'élèves baissait de 1 million dans le primaire et de 200 000 dans le secondaire. Dans le même temps, du fait du pouvoir syndical structuré autour de l'enseignement secondaire, la France demeure le seul pays développé où le coût annuel d'un lycéen est supérieur à celui d'un étudiant (7 880 euros, contre 6 590). [...] Un nouvel exemple de la dérive du système vers le mode de fonctionnement du Gosplan soviétique a été fourni par le baccalauréat 2003, qui a connu un taux record de réussite presque voisin du «bac 68» (respectivement 80,1% et 82,07%), après deux mois de grève des enseignants. La leçon est claire: soit les résultats aux examens sont inversement proportionnels à la durée des cours, et il est urgent de diminuer les horaires et les effectifs de l'enseignement; soit la volonté de respecter à tout prix une norme fixée par avance, qui aboutit en régime de croisière à réévaluer à la hausse les résultats des académies dites sensibles, a conduit cette année à un laxisme généralisé qui prive le baccalauréat de toute valeur réelle. Comme le disait crûment Péguy, «quand une société ne peut pas enseigner, c'est que cette société ne peut pas s'enseigner, c'est qu'elle a honte».

Face à cette situation de crise, le gouvernement a choisi de supprimer les emplois-jeunes pour créer plusieurs dizaines de milliers de postes d'assistants d'éducation, puis d'annoncer, au printemps 2002, 30 000 postes supplémentaires (dont 18 000 dans le secondaire, contre 14 000 départs en retraite, alors que le nombre d'élèves diminuera de 25 000), avant de proclamer le non-remplacement des départs en retraite dans le budget de 2004, pour finalement décider en juillet de créer 4 000 postes supplémentaires. [...] Deux constats s'imposent: le gouvernement amplifie les déséquilibres et les dysfonctionnements du système éducatif. Car sa démarche épouse la logique syndicale, en s'enfermant dans une logique de moyens qui évite de s'interroger sur les missions et les objectifs de l'Education nationale d'une part, les conditions concrètes de fonctionnement des établissements scolaires d'autre part.

De même, l'indispensable relance de l'effort de défense, venant après l'absurde désarmement poursuivi par la gauche plurielle en pleine période de remontée des périls extérieurs, est en partie neutralisée par l'affectation prioritaire des nouveaux investissements à l'outil de dissuasion nucléaire, qui représente plus de 18% de l'effort global. [...] Ces choix prennent mal en compte les nouveaux risques terroristes, ce qui supposerait une refonte complète de la sécurité du territoire comme de l'articulation entre la sphère de la défense et la société civile. Dans ce domaine également, le refus de moderniser la doctrine de la dissuasion et de redéfinir l'hypothétique schéma d'armée 2015, le flou entretenu sur la défense européenne, la poursuite des investissements à fonds perdus dans des structures industrielles condamnées telles que Giat ou la DCN conduisent à dilapider des ressources rares. Avec pour résultat que les capacités opérationnelles évoluent dans un sens inversement proportionnel aux dépenses et que le mouvement de départ des officiers et sous-officiers d'avenir s'emballe.
Dans le domaine social, tout a été sacrifié au calendrier lent choisi contre la raison et le bon sens pour la réforme des retraites, dont tous les éléments étaient parfaitement connus en 2002 et à laquelle les esprits, sous le choc des élections, étaient alors acquis. [...] Pour prix d'une mini-réforme, la France s'est offert une méga-crise sociale, indissociable d'une nouvelle tétanie à l'approche des élections de 2004, dont les premiers symptômes sont patents: escamotage de la décentralisation, renonciation à tout changement au sein de l'Education nationale, remise à 2005 de la révision du système de santé en dépit de son implosion financière, report sine die du changement de statut d'EDF. [...]

Face aux deux stratégies politiques que pouvait dicter l'analyse postérieure au 21 avril, thérapie de choc du type de 1958 ou fuite en avant démagogique du type de 1981, les deux têtes de l'exécutif ont décidé en réalité de ne pas choisir, s'inscrivant dans la continuité des politiques de ni-ni inventées par François Mitterrand. Le gouvernement s'est dédoublé: aux jeunes délinquants, le privilège de la thérapie de choc; aux clientèles électorales et à la fonction publique, le bénéfice ambigu du placebo avec, sous le prétexte de ne pas bloquer la société, le parti pris de neutraliser ou de différer les réformes. L'objectif consiste à durer, plutôt qu'à présider ou à gouverner, avec en guise de principe d'action le dicton «Quieta non movere». [...] Le seul service minimum qui fonctionne est celui de l'action gouvernementale, qui se tient pour quitte vis-à-vis des Français avec la reprise en main de l'ordre public et la réforme tronquée des retraites. En réalité, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin n'est pas celui de la France d'en bas, mais bien celui de la France qui tombe.

Quatre erreurs cardinales expliquent cet échec. La première porte sur le diagnostic de la situation du pays, avec une confusion opérée entre 1995 et 2002: obsédé par le collapsus social du premier septennat de Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin s'est trompé d'époque et de politique, cherchant à corriger sept ans après les fautes du gouvernement d'Alain Juppé. Ce faisant, il commet paradoxalement les mêmes erreurs, en ignorant la crise mondiale comme Alain Juppé était resté aveugle à la reprise, en trahissant le mandat réformateur lancé par les électeurs d'avril 2002 comme Alain Juppé avait délibérément enterré le programme de réduction de la fracture sociale. La deuxième faute consiste à avoir neutralisé la fenêtre stratégique qui s'ouvrait pour le changement au second semestre 2002, pour privilégier la popularité confortable qu'assure le renouvellement des équipes mises au service du statu quo. Or les réformes différées en période favorable font les réformes avortées en période défavorable. La troisième erreur de jugement provient du postulat selon lequel la France serait irréformable, alors que c'est le gouvernement qui est incapable de concevoir et de réaliser les réformes. La quatrième et la plus perverse consiste [...] à prétendre réformer de manière masquée, larvée. «Un prince qui a peur est renversable à tout moment», soulignait Napoléon. Comment le gouvernement peut-il convaincre les Français du bien-fondé de réformes qu'il a peur non seulement de réaliser mais même de formuler [...]? Comment un gouvernement qui ne sait ni ce qu'il veut ni où il va pourrait-il triompher des corporatismes qu'il n'a de cesse de relégitimer et qui ont du moins pour eux d'être parfaitement clairs et déterminés dans leur opposition frontale à tout changement?

La rétractation du politique dans la démagogie et la communication, au triple détriment du projet, de la pédagogie et de l'action, jointe à la montée de l'individualisme, provoque un formidable appel d'air dans lequel s'engouffrent l'extrémisme politique et le nihilisme social. [...] Le désengagement du politique a pour corollaire une radicalisation des mouvements sociaux qui basculent sans transition des fêtes ritualisées dans une violence désespérée. [...] Des fonctionnaires, détenteurs de l'autorité publique, ont ainsi impunément repris à leur compte les déviances qui étaient jusqu'alors le triste privilège des agriculteurs et des Corses. Ils ont multiplié les violences, saccagé les équipements publics, défié l'Etat de droit qu'ils sont censés incarner, récusé toute éthique professionnelle, tels les enseignants de philosophie mimant les autodafés nazis avec les livres du ministre de l'Education. De même, les quelque 170 000 journées de grève alignées chaque année par les cheminots (soit bon an mal an entre le quart et le tiers du total des jours de travail perdus du fait des grèves en France), dans une entreprise qui bénéficie de 6 milliards d'euros de subventions de l'Etat pour un chiffre d'affaires de 20,1 milliards [...], ont mis à mort le fret ferroviaire et gravement affecté le trafic des voyageurs. Les agents de la SNCF s'affirment comme les premiers fossoyeurs du service public du transport ferroviaire. Cela ne les empêche pas de s'arc-bouter sur des revendications catégorielles déconnectées des réalités économiques: un conducteur de TGV touche en moyenne 75 000 euros nets par an pour 25 heures de travail hebdomadaires, tout en bénéficiant d'une totale gratuité des soins et d'un départ à la retraite à 50 ans!

Dernier épisode en date, le conflit des intermittents du spectacle a marqué un paroxysme au point qu'Ariane Mnouchkine a pu évoquer un «suicide collectif».

La violence déchaînée pour obtenir l'annulation des festivals n'a eu d'autre effet que de briser les manifestations culturelles, de ruiner les institutions qui emploient les intermittents et les collectivités qui les soutiennent, de mettre en péril l'une des déclinaisons tangibles de l'exception culturelle française, de saper les valeurs fondatrices de la création, au premier rang desquelles le respect des artistes et du public. [...] Résultat: personne n'a traité les problèmes très réels du régime de chômage le plus favorable en Europe, qui a vu le nombre d'ayants droit progresser de 50 000 à 96 000 en dix ans au terme d'abus multiples [...] et les comptes afficher 124 millions d'euros de recettes pour 952 millions de dépenses. [...]

L'irrésistible ascension aux extrêmes de la violence sociale en France met en jeu des mécanismes et des schémas immuables. D'abord la mobilisation autour de mots d'ordre visant à «tout casser» ou à «tout bloquer». Ensuite le durcissement autour d'un noyau minoritaire qui impose une ligne extrémiste par le recours à l'intimidation et à l'idéalisation des postures de la radicalité, éventuellement contre le vote de la majorité en faveur de la poursuite ou de la reprise du travail. Le refuge dans l'idéologie et dans le culte du rapport de forces au détriment de l'intelligence de la négociation, qui suppose à la fois de redescendre des principes éthérés vers la discussion des enjeux concrets et de rentrer dans la logique démocratique du compromis. L'exaltation de la révolte au détriment de toute proposition alternative autre que le statu quo. L'appel systématique à l'Etat, non tant pour servir de médiateur ou d'arbitre que pour intervenir comme une poche profonde, sommée de mobiliser les fonds publics au service des intérêts catégoriels et corporatistes. Ainsi ces mouvements, en installant dans les esprits et les moeurs le fait que tout est possible et que tout est permis, bandent-ils en France les ressorts classiques du totalitarisme tel que le définit Hannah Arendt. [...]

La France de 2003 se présente comme le pays où, de José Bové aux intermittents du spectacle en passant par les dirigeants dévoyés d'entreprises ruinées et jusqu'au chef de l'Etat, chacun prétend agir selon sa fantaisie.

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